Un ouvrage de Taisen Deshimaru, Maître Zen qui apporta la tradition Zen en Europe, nous enseigne l’esprit sans but ni profit. La quête spirituelle est souvent guidée par une idée précise d’un but à atteindre, d’un accomplissement. Conditionnée par nos schémas de fonctionnement occidentaux, cette quête peut ressembler à une course à la spiritualité, suivant une liste d’objectifs que nous nous sommes fixés.
Mais qu’en est-il de cette consommation de la spiritualité dans la tradition Zen? Quelques mots et versets suffisent parfois à nous rappeler que la quête et la dispersion, par leur agitation, nous éloignent de la vérité qui s’illumine dans l’abandon, ici et maintenant.
Ainsi, Taisen Deshimaru nous précise: « Ayons l’esprit mushotoku, sans rien chercher à obtenir, sinon nous tombons dans l’égarement. Le Zen signifie tout arrêter, tout abandonner, se défaire de toute pensée, de toute idée, se débarrasser de tout rêve et de toute illusion, perdre toute notion et toute conception, se libérer de toutes les données de notre conscience. »
Il ajoute qu’il est toutefois reconnu dans le bouddhisme Zen, quatre formes d’attitude de l’esprit. « La première, jin shiki raku, désigne la volonté de rejet des diverses actions de notre conscience, en vue de l’obtention de la joie véritable. C’est l’attitude volontariste à la recherche de la satisfaction par la joie. Mais si l’on continue zazen en s’approfondissant, on arrive à la deuxième condition de l’esprit, qui est la condition extatique issue de ce rejet, de l’abandon de toute pensée et de toute volonté. Ce qui conduit à la troisième condition de l’esprit: l’esprit est pénétré par la joie profonde et véritable jusqu’au tréfonds du corps. A cet instant, on peut dépasser cette condition. On arrive alors à la quatrième condition de l’esprit, où, par l’abandon de tout attachement, n’existent plus ni souffrance ni plaisir, mais le seul état de pureté totale et de paix profonde. C’est la condition de satori, c’est mushotoku. »
Ainsi, lorsque l’on se libère de l’égo, que l’on a tout abandonné, alors seules les pensées importantes surgissent par l’intuition, et se réalisent par la sagesse. L’esprit devient le corps, alors l’action devient purement intuitive, infiniment plus juste que l’action issue de la pensée discursive et de la volonté.
Taisen Deshimaru nous questionne: « Où est la voie, la vérité, la vie? » Siddhârta Gautama, après quarante-huit jours de méditation et à l’aube du quarante-neuvième, en contemplant l’étoile du matin scintillante, devint Bouddha. Il réalisa que toutes les existences et tous les dharmas étaient le principe actif du cosmos et de sa manifestation. Il s’éveilla au fait que la puissance cosmique fondamentale devint lui-même, et lui-même était la réalisation.
Ainsi, à travers le poème du Maître Jiun, cité par Taisen Deshimaru comme un grand koan, nous trouvons l’illustration exemplaire de cet abandon.
Poème du Maître Jiun
- Lorsque l’esprit bouge,
- La montagne, le fleuve et la grande terre,
- Bougent de même,
- Lorsque l’esprit est immobile,
- Le vent qui souffle,
- L’oiseau en vol,
- Les nuages voguant
- Demeurent immobiles.
- Dans l’état de Mushin (non-esprit)
- Demeure la vie éternelle,
- Le plus grand bonheur.
- Par la pensée,
- Apparaissent les souffrances;
- De la non-concentration,
- S’élèvent les maladies.
- Demeurant dans la paix absolue
- Du Ciel et de la Terre,
- Dans l’harmonie du cosmos,
- S’accomplissent
- Les mille automnes
- Et les dix mille printemps de notre vie.